La peau froide

Apprendre à se poser, à ne pas se presser, à observer l’horloge ralentir son rythme, à s’ennuyer un peu, à évaluer son état d’esprit et les envies qu’il recèle, à lâcher ce foutu téléphone qui me relie à l’Europe, à vivre le moment présent sans anticiper les activités futures.

Ma nature intrinsèque est assez différente de cela. Je comble les silences par les rires d’amis, par les sorties, par un agenda super chargé. Et ça me plaît, à Fred un peu moins. Je n’arrive pas à rester oisive. Je me force à réapprivoiser le temps, notamment en ne travaillant pas le lundi depuis la naissance des enfants. Mais même le lundi, depuis que les deux enfants sont à l’école, je trouve toujours un moyen de courir d’un endroit à l’autre ou, si je paresse, c’est autour d’un café avec des amis. Mieux profiter de mon lundi est l’un de mes objectifs à l’issue des six prochains mois.

Et puis ici, depuis que nous sommes arrivés, la neige a été assez convaincante dans sa volonté de me forcer à me poser. On a un peu résisté le premier jour, on a poussé une pointe vers le Farmers’ market, croisé des gens qui faisaient du patin à glace et d’autres qui regardaient les enfants descendre les pentes enneigées de la Citadelle à la seule force de leurs salopettes de ski. On s’est finalement séparés après 40 minutes de marche, Fred se rendant au marché et moi emmenant les enfants vers The Tare Shop, magasin en vrac dont j’avais suivi l’ouverture à distance grâce aux réseaux sociaux, afin de remplir nos bocaux en verre et de se poser pour boire un espresso, des chocolats chauds et déguster des cinnamon rolls. C’était étonnant de discuter avec les vendeuses, alors que j’avais imaginé ces conversations dans un coin de ma tête depuis plusieurs mois.

Ce n’est pas évident de poursuivre nos habitudes de consommation ici. Le bio semble hyper cher et les fruits et légumes locaux sont assez limités avec la météo de la région. Une chose est certaine, on a de nouveau testé un supermarché après plusieurs mois d’abstinence et on n’est pas prêt d’y retourner. La surconsommation à la nord américaine n’a pas aidé dans ce choix et les enfants sont nettement plus sympas dans les petits commerces.

Le blizzard des derniers jours nous a astreint à résidence, mais les quelques échappées aux alentours semblent de bon augure. Le quartier est résidentiel mais grouille d’échoppes telles que nous les aimons. L’école des enfants est à 5 minutes à pied, on va la visiter mercredi.

Aujourd’hui, la neige s’est intensifiée, le vent aussi. De face, ça fait vraiment mal (dixit Fred qui l’a bravé pour aller chercher du pain et une meat pie). Le silence est flagrant ici, la neige étouffe les rares bruits de la rue. Les écoles sont fermées et Fred a dû reporter son premier rendez-vous à la fac de droit car l’université a fermé ses portes en milieu de journée.

Moi j’essaye de m’habituer à ce rythme. La maison est extrêmement agréable et la vue enneigée a son charme. J’en ai profité pour lire mon premier bouquin, cadeau d’un de mes collègues avant mon départ. Il s’agit d’un roman de l’écrivain catalan Albert Sánchez Piñol, « la Peau froide ». Il parle de voyages, de relations humaines, de la peur de ce qui est différent. On n’a pas envie de l’abandonner ni qu’il nous abandonne. J’ai vraiment adoré. J’en ai un deuxième du même auteur qui m’attend, j’attendrai un peu pour l’ouvrir que les restes du précédent se soient dissipés mais je me réjouis de m’immerger dedans.

En attendant, j’observe les enfants construire des cabanes et découvrir chaque recoin de leur nouvelle maison et apprends à me poser, en appréciant le luxe de n’avoir aucune contrainte (surtout en sachant que c’est temporaire).

(Cet article a été rédigé le 4 mars 2019 sur mon ancien blog “The World is our Oyster”, alors que nous venions d’arriver à Halifax, Canada, pour un séjour sabbatique de 6 mois. Je devais m’habituer à ne rien faire et commencer déjà à ressentir l’éloignement avec une partie de ma vie belge.)

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